Titre: L’homme et le ver de terre
Auteur: Marie-Laure Guihard
Publication: Petit Génie
Année: 1 novembre 2014
Il fût un jour, cent jours, des décennies entières, Ultime rescapé de ma chère patrie, Ma cité dévastée, éteinte, désertée. Une fois était donc un petit coin de sol ;
Il fût ici, jadis, au bout d’un vaste champ
D’une verte vallée, un petit coin de terre.
Un banal bout de sol, noir terreau somnolent,
Mince feston coincé, entre, par un côté,
Les entrailles du globe, et la vaste atmosphère
À l’autre extrémité. À l’œil peu affûté,
Quelques centimètres d’un fouillis sans attrait,
Sombre matière inerte et de peu d’intérêt.
Et pourtant en son temps, tant de vie s’y tissa,
Sur ce menu terroir. Ici, moi, petit ver,
J’ai grandi, bienheureux. Parmi mille compères,
J’ai creusé, tortillé. Une vie sans tracas.
Mais ici, désormais, je vis seul, désœuvré
Que s’est-il donc passé ? De quelle tragédie
Le ciel en sa malice a-t-il su nous frapper ?
Écoutez, je vous prie, ce modeste récit,
Cette humble poésie, morose parabole.
Écoutez patiemment, ce ne sera pas long,
Et selon vos envies, méditez la leçon.
Grasse et brune terre, tout un monde y grouillait :
Insectes, bactéries, acariens, myriapodes,
Champignons, araignées et autres arthropodes,
Nous étions des millions à y loger en paix.
Toute une urbanité, qui donc de mille bruits
Bruissait, parlementait, s’affairait sans répit.
Les cloportes d’abord on venait à croiser,
Bien caparaçonnés sous leur heaume cuivré.
Puis ensuite arrivait l’affable mille-pattes
Qui vers quelque devoir s’acheminait en hâte.
Suivi des collemboles, insectes un peu farouches
Fuyant les importuns à petits sauts de mouche.
Les acariens enfin, qui font repas d’un rien.
Et tant d’autres encore… à tous les détailler
Milliers de pages ne sauraient y suffire.